Entre la vie et le vide

Sujet du livre

Entre la vie et le videPremier livre consacré à la gestion de la peur par les alpinistes, « Entre la vie et le vide » vous passionnera, que votre curiosité concerne le contrôle de vos émotions ou la montagne.

« Entre la vie et le vide » explique l’utilité et le fonctionnement de la peur ainsi que les méthodes mises en œuvre par les alpinistes de l’extrême pour maîtriser leur anxiété. Ces principes aideront chaque lecteur à dépasser ses peurs au quotidien.

Christophe Lachnitt a rencontré certains des meilleurs alpinistes mondiaux et, à partir de sa propre expérience, les a amenés à révéler la part intime de leur relation à la peur qu’ils n’avaient jamais exposée jusqu’à présent.

Catherine Destivelle, Lynn Hill, Jean-Christophe Lafaille, Alain Robert et une dizaine d’autres grands alpinistes se confient à cœur ouvert dans cet ouvrage et dévoilent les ressorts psychologiques de certaines des ascensions les plus célèbres de l’histoire de la montagne.

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Interview de l’auteur

Que représente l’alpinisme pour vous ?

Un jeu potentiellement mortel.

C’est un jeu car une voie d’escalade – qu’elle soit en rocher, glace ou mixte – s’apparente à un rébus. L’alpiniste dispose d’indices plus ou moins nombreux et plus ou moins visibles selon la difficulté de l’ascension. Il doit en trouver la solution à chaque pas pour poursuivre sa progression. Cela rend la « lecture » d’une voie déterminante : plus on passe de temps à la lire, c’est-à-dire à décoder le rébus, plus on se fatigue vainement. Au demeurant, c’est l’une des principales raisons – avec le poids psychologique de l’inconnu – pour lesquelles la réalisation de premières sur des faces inexplorées et l’ouverture de nouvelles voies constituent une pratique aussi exaltante que difficile. Ainsi, l’escalade est-elle une activité très ludique qui peut devenir presque addictive : on a toujours envie de se confronter à un problème plus ardu et d’en trouver la solution. L’alpinisme est d’ailleurs l’un des sports où la progression est la plus mesurable.

Mais ce n’est pas un jeu comme les autres car il est potentiellement mortel. A cet égard, l’escalade est une formidable école de responsabilité. Le danger est une dimension de ce sport que tous ses pratiquants ne recherchent pas mais avec laquelle ils doivent tous vivre. Pour certains, la prise de risques fait partie intégrante du plaisir qu’ils trouvent dans cette activité. Comme le disait le grand alpiniste italien Emilio Comici, « pour vivre complètement, il faut aussi risquer, il faut oser ».

Dans tous les cas, l’alpinisme se caractérise à mes yeux par le dépassement de soi. Dépassement physique, intellectuel et mental. Ce n’est pas le seul sport, naturellement, où l’on cherche à se dépasser mais c’est probablement l’un des sports dans lesquels cette dimension est à la fois la plus forte et la plus variée.

Les mains de Christophe Lachnitt après son accident d'alpinisme au cours duquel il subit de graves brûlures et dermabrasions (chairs rongées par les brûlures) aux doigts et paumes, la fracture de deux vertèbres et la compression d'une troisième ainsi que de multiples contusions sur l'ensemble du corps

Les mains de Christophe Lachnitt après son accident d’alpinisme au cours duquel il subit de graves brûlures et dermabrasions (chairs rongées par les brûlures) aux doigts et paumes, la fracture de deux vertèbres et la compression d’une troisième ainsi que de multiples contusions sur l’ensemble du corps – DR

Votre livre traite de la gestion de la peur par les alpinistes professionnels. Comment l’envie d’écrire sur ce thème est-elle née ?

Le jour de mes 34 ans, j’ai eu un accident d’alpinisme à Chamonix-Mont-Blanc qui aurait dû être mortel. J’ai survécu grâce à un pur miracle. Incidemment, une telle expérience vous fait adhérer à la notion de destin, ce qui ne veut pas dire pour autant, dans mon cas, croire au déterminisme.

Toujours est-il que j’ai conservé de mon accident une peur qui resurgit dans certaines situations d’escalade. J’aurais pu arrêter ce sport. Mais cette peur m’a donné un défi supplémentaire qu’il m’a intéressé de relever. Tenter de relever devrais-je dire car je n’ai pas encore réussi à maîtriser cette peur. Mais ma relation avec elle, si elle n’est pas toujours commode, est passionnante.

D’aussi loin qu’il m’en souvienne, j’ai été convaincu qu’on apprenait davantage sur soi-même dans l’échec et dans l’épreuve que dans le succès et la facilité. A cet égard, j’apprécie beaucoup le chaman esquimau cité par le grand himalayiste français Jean-Christophe Lafaille (décédé en 2006) : « La vraie sagesse ne se rencontre que loin des hommes, dans les vastes solitudes. Elle ne peut être atteinte que par la souffrance et les privations. La souffrance est la seule chose qui révèle à un homme ce qui est caché aux autres ».

Pour revenir à la genèse de « Entre la vie et le vide », il se trouve que, deux ans après mon accident, Jean-Christophe Lafaille, justement, a publié un livre* dans lequel il racontait notamment avoir conservé d’un gravissime accident sur l’Annapurna une peur qui m’a semblé comparable à la mienne – toutes proportions gardées étant donnés nos niveaux respectifs – dans sa nature sinon dans son intensité.

Cela m’a donné envie de comprendre comment ceux que l’on appelle les « professionnels du vide » gèrent leur peur. C’est ainsi que j’en suis arrivé à écrire ce livre. Jean-Christophe est d’ailleurs l’un des premiers alpinistes que j’ai rencontrés.

Christophe Lachnitt au sommet du Triangle du Tacul dans le massif du Mont-Blanc

Christophe Lachnitt au sommet du Triangle du Tacul dans le massif du Mont-Blanc – DR

Pourquoi démarrez-vous votre livre en détournant la première phrase de « Du côté de chez Swann » de Marcel Proust ?

J’ai joué avec ce célébrissime incipit parce que, en plus d’ouvrir « Du côté de chez Swann », il introduit « A la recherche du temps perdu ». Or, depuis que j’ai échappé à la mort dans l’accident d’alpinisme qui est à l’origine de ce livre, ma vie se définit ainsi : la recherche du temps perdu. Quand on réalise qu’on est mortel, on n’a plus le temps. La reprise de la phrase de Proust est donc un clin d’oeil.

La peur est LE sujet dont les alpinistes professionnels refusent de parler. Du reste, aucun livre n’avait abordé ce thème avant « Entre la vie et le vide ». Comment avez-vous réussi à convaincre une quinzaine d’alpinistes extrêmes et guides de haute montagne de s’exprimer pour la première fois ?

Je partage deux choses avec eux : la passion de la montagne et l’expérience personnelle des dangers de l’alpinisme. Cela a naturellement facilité les choses. Cependant, il n’y a pas de réponse unique à cette question car chaque interview contenue dans ce livre est le fruit d’une rencontre humaine dont certaines se poursuivent encore aujourd’hui.

Certains alpinistes ont été très faciles à rencontrer – ce fut le cas par exemple de Pierre Mazeaud alors même qu’il était Président du Conseil constitutionnel quand je l’ai sollicité. D’autres ont été plus durs à convaincre. Comme je le raconte dans le livre, Catherine Destivelle a été celle qui m’a demandé la plus grande force de persuasion et la plus grande persévérance. Il faut dire qu’elle n’avait vraiment pas envie de parler de la peur et qu’elle est, du fait de sa notoriété mondiale, sollicitée tous les jours par des demandes en tout genre. Il est normal qu’elle se protège.

Cependant, il ne faudrait pas croire que tous les alpinistes que j’ai appelés ont accepté de me rencontrer. J’ai essuyé quatre refus dont deux que je regrette tout particulièrement : Walter Bonatti et Reinhold Messner, les plus grands alpinistes de l’Histoire.

Je suis extrêmement reconnaissant à tous les autres, qui forment une magnifique cordée mondiale de talents et de personnalités hors du commun, d’avoir pris le temps de partager une part de leur intimité avec moi.

Au terme de votre travail sur la gestion de la peur par les alpinistes professionnels, qu’avez-vous appris sur la peur ?

J’ai d’abord beaucoup appris, en m’initiant très modestement aux neurosciences, sur le fonctionnement de notre cerveau, sur la manière dont nous générons et gérons nos peurs. Je ne fais qu’effleurer cet immense domaine dans mon livre dont c’est l’objet du premier chapitre. J’espère que ma totale ignorance scientifique m’a permis de simplifier et de présenter ce sujet de manière compréhensible. A cet égard, je tiens à remercier le Docteur Christophe André, psychiatre au sein de l’Unité de psychothérapie comportementale et cognitive de l’hôpital Sainte-Anne de Paris et l’un des meilleurs spécialistes français des peurs et phobies, qui a eu la générosité de relire mon manuscrit pour s’assurer de sa pertinence médicale.

Je me suis ensuite énormément enrichi grâce à mes échanges avec les quinze alpinistes que j’ai rencontrés et j’espère que les lecteurs du livre y trouveront également un enrichissement. Ces entretiens permettent de comprendre que ces « conquérants de l’inutile » ne sont pas des robots qui mettent leur vie en danger sans ressentir la moindre émotion mais des êtres très humains qui tour à tour dépassent et se servent de leurs émotions pour réaliser ce qui nous paraît impossible. Ainsi ne sait-on jamais vraiment si l’alpiniste extrême consomme sa vie ou sa mort à crédit.

Au terme de cette réflexion sur la peur, j’en reviens toujours à la sentence prononcée par Talleyrand : « l’incertitude est la seule chose à laquelle l’esprit ne sache pas se faire ». C’est une vérité que je retrouve de manière opposée dans mes vies professionnelle et personnelle : alors que, pour réussir, le manager doit réduire la part d’incertitude imposée à ses collaborateurs, l’alpiniste doit s’imposer l’incertitude comme une compagne de cordée rémanente.

Pour conclure, que pouvez-vous nous dire des alpinistes que vous avez rencontrés ?

Le grand grimpeur autrichien Herman Buhl avait écrit que « les montagnes sont des enseignantes silencieuses qui nous inculquent de nobles qualités : l’humilité à l’égard de la nature, la modestie, le courage, le sens du sacrifice et la volonté ». Ce sont des vertus que j’ai retrouvées sans exception chez les quinze alpinistes avec lesquels je me suis entretenu.

Pour conclure, j’espère que, à force de rencontrer des gens intéressants, j’ai fini par le devenir dans ce livre.

* Prisonnier de l’Annapurna, Jean-Christophe Lafaille et Benoît Heimermann, Editions Guérin, 2003